Rapport consternant d’un membre de la Commission Royale des Monuments sur l’état de notre Patrimoine !

Ce rapport d’une visite informelle à Nivelles a été rédigé fin juillet par un membre de la Commission Royale des Monuments, Sites et Fouilles de la Région wallonne, Francis Tourneur.

Visite à Nivelles mercredi dernier, pour privilégier le tourisme de proximité. Nivelles est une cité au très ancien passé, qui fut très richement dotée en patrimoine et très affectée par la seconde guerre : comme à Tournai, les bombardements de mai 1940 ont ravagé une bonne partie du paysage bâti et, comme à Tournai, la Ville peine vraiment à sauvegarder ce qui en reste, patrimoine pourtant loin d’être négligeable. Brefs constats, en pleine saison touristique supposée :

Collégiale: des deux exceptionnels portails romans, c’est par celui du sud que l’on accède à l’église, celui du nord est refermé par une grille contemporaine et l’espace intermédiaire tient plutôt du dépotoir… Au sud, la grille n’a pas d’arrêts et les vantaux viennent butter contre les bases de colonnes médiévales. La grande porte paraît bien close d’apparence et il faut passer par la petite porte, dont l’ouverture décalée en hauteur doit dissuader les PMR… D’ailleurs, à l’intérieur, pour monter au chœur occidental, deux rampes parallèles ont été installées sur le grand escalier – mais une grille avec panneau d’information est placée juste devant, empêchant à nouveau les personnes moins mobiles d’accéder… Passons sur le ‘brol’ général dans tous les coins et recoins de l’édifice, que l’on peut attribuer au contexte sanitaire… L’ensemble reste bien sûr majestueux et impressionnant, même si les principes de la dernière grande restauration ne sont guère en phase avec les concepts actuels (notamment par les matériaux bruts). Mais l’accès au beau cloître est fermé, sans aucune indication de visite possible…

Rue Seutin : si on prend la rue dans l’axe de l’avant-corps occidental de la collégiale, la première partie de la rue a été reconstruite après les bombardements mais on arrive rapidement à un grand complexe impressionnant d’allure néoclassique sur la gauche, hôtel de maître (qui a conservé en bonne partie ses huisseries originelles) suivi d’un vaste complexe scolaire du milieu du 19e s., axé par un majestueux portail. Le tout est lamentablement abandonné, dans un délabrement affreux et au bord de l’effondrement, immense chancre à proximité de la collégiale, patrimoine exceptionnel… Un peu plus loin, sur la droite, la ‘tour Simone’, reste des remparts, classée et restaurée avec des fonds publics en 2006 – une clôture contemporaine permettant une vue sur le monument, une porte fermée à côté, flanquée du blason ‘patrimoine’, sans aucune indication, le tout non entretenu – est-ce bien de restaurer puis de laisser aller ?…

Autre clou du patrimoine nivellois, le musée communal, dont les heures d’ouverture suivent des horaires de bureau, pas très touristiques. Beau bâtiment ancien classé, très riches collections variées. L’approche dissuade, abords inhospitaliers, on dirait un monument abandonné, quasi absence de signalétique, porte semblant fermée… Aménagements vétustes, présentation inadéquate des pièces (des œuvres sur papier sont exposées en pleine lumière), pas de mise en valeur des pièces exceptionnelles (dignes pourtant d’un grand musée européen) par rapport aux fonds classiques poussiéreux. Le tout est au bord du complet délabrement, en attente d’une improbable restauration, qui devrait concerner aussi les abords, à revoir de fond en comble. Le personnel, accueillant et d’une grande gentillesse, déplore hélas le manque complet de ‘moyens’ mis à leur disposition… Cercle vicieux, (très) peu de visiteurs, pas de visibilité !

Ancien couvent des Récollets : à côté de la belle église restaurée, faut-il insister sur ce dossier lamentable, dont la presse fait régulièrement écho ? Bel ensemble conventuel fermé, bien préservé jusqu’il y a peu, cédé à un promoteur privé, dont le projet contrarié par les contraintes patrimoniales supposées est à l’arrêt depuis un certain temps, entraînant bien sûr un complet abandon du complexe monumental et de ses abords (parc avec monuments commémoratifs). On pouvait autrefois accéder par l’église au cloître et à certains locaux intéressants – ce qu’on en perçoit aujourd’hui fait craindre ce que les photos dans la presse illustrent, un saccage de l’intérieur, vidé de sa substance pour réaliser jusqu’à la moindre dalle de pierre bleue…Justement, c’est de pierre bleue que tout le centre, autour de la collégiale, a été dallé il y a quelques années. Marché public oblige, on y a mis de la pierre d’Irlande et non celle des carrières toutes proches – c’est un autre mystère / une autre misère que la gestion des marchés d’aménagements publics en Wallonie… Après à peine quelques années d’usage, force est de constater à Nivelles la quasi ruine de certaines parties, affaissements de voirie, dalles et pavés pulvérisés, bordures brisées… Comme à Tournai (dont tout le centre-ville en rive gauche a aussi été refait en pierre d’Irlande, faut-il le rappeler), c’est le concept même qui est en cause, complètement inadapté aux sollicitations de l’utilisation (dont le trafic automobile) – on peut pourtant espérer qu’un plan de circulation a précédé les projets d’aménagements… Il est probable que d’ici peu, tout sera à revoir et à refaire. Quelle incroyable gabegie d’argent public…

Dans la ville elle-même, manque de cohérence dans l’approche urbanistique : le bâti néoclassique semble toujours faire l’objet de décapages intempestifs, qui lui font perdre toute lisibilité et les immeubles de la reconstruction d’après-guerre, qui ne manquent pourtant pas d’intérêt, ne paraissent guère retenir l’attention des modifications (châssis, ferronneries, etc.)…Bref, c’est un constat plutôt amer quant à la gestion du patrimoine au sens large, on a presque envie de dire absence de gestion…